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Geneviève Fraisse, Les excès du genre. Concept, image, nudité

Clémence Perronnet
Les excès du genre
Geneviève Fraisse, Les excès du genre. Concept, image, nudité, Paris, Éditions Lignes, 2014, 83 p., ISBN : 978-2-35526-133-6.
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Texte intégral

  • 1 Fraisse Geneviève, présentation de l’ouvrage Les excès du genre. Concept, image, nudité sur le site (...)

1Philosophe et historienne de la pensée féministe, Geneviève Fraisse propose dans cet ouvrage d’offrir sa perspective sur les polémiques autour du genre et des stéréotypes genrés, ainsi que sur l’usage de la nudité en politique. Son objectif est d’intervenir dans les débats contemporains déclenchés par l’introduction en 2011 de la notion de genre et des notions d’« identité » et d’« orientation » sexuelles dans certains manuels de SVT. Elle souhaite observer l’affrontement entre les détracteurs du genre et une « nouvelle génération d’universitaires » avec le regard d’une « pionnière » des études féministes, sans prendre parti pour aucun camp1, mais en proposant de comprendre comment fonctionne l’outil genre. Le genre, le sexe, les stéréotypes et la nudité sont successivement abordés dans quatre chapitres qui cherchent à apporter un éclairage historique et philosophique sur ces notions et leurs usages.

2Dans une première partie, Geneviève Fraisse interroge le genre en tant qu’outil de pensée pour la philosophie et part d’une dichotomie entre le terme « genre » utilisé pour distinguer deux entités, le féminin et le masculin (par exemple avec le « genre » grammatical), et le même terme dans son utilisation neutre et universelle (le « genre » humain). Cette caractéristique du genre « permet de croiser le neutre et la dualité » (p. 10) et en fait pour l’auteure un concept ambitieux et « en excès ». Le genre serait un outil permettant de questionner les rapports entre unicité et multiplicité ; diversité et neutralité. L’excès que théorise Geneviève Fraisse prend plusieurs formes : il est épistémologique, car les connaissances acquises grâce à la perspective genrée s’accumulent et effraient ; il est méthodologique, car le genre peut dévoiler autant que masquer. Pour l’auteure, l’outil genre est en effet un « écran », au sens où il peut à la fois montrer et dissimuler la dualité sexuelle, par exemple lorsque le projet politique de solidarité du care est supposé sexuellement neutre, alors que les travailleurs du care sont en très grande majorité des femmes. L’auteure voit ici un cas où le « le genre se rend lui-même invisible, illisible » (p. 14). L’excès associé au genre se trouverait enfin dans l’opposition entre deux camps, l’un voulant pousser le concept jusqu’au bout, et l’autre régressant sur des idées figées. Le genre est ensuite décrit comme un concept imprécis, rendu flou par les multiples usages du mot, et ce premier chapitre s’achève sur un plaidoyer pour un travail sur l’historicité des sexes, et la prise en compte de leur devenir.

3La seconde partie s’intéresse plus particulièrement au mot « sexe », que l’auteure souhaite réhabiliter. En effet, il lui semble que l’on accorde trop d’importance au mot « genre » au détriment de « sexe » du fait du monopole d’un modèle de pensée opposant nature et culture et s’appuyant sur le postulat de la domination masculine. L’expression « rapports sociaux de sexe » est également critiquée pour son origine théorique marxiste. Geneviève Fraisse invite à repenser tout le vocabulaire des études de genre en remettant en question les présupposés qu’il véhicule. Pour elle, conserver le mot « sexe » permettrait aussi de maintenir un débordement productif. La conclusion de cette partie veut clarifier le débat autour du genre en affirmant « l’évidence scientifique » (p. 37) du concept, mais elle invite également les chercheurs à changer leur façon d’aborder la problématique de la domination : il ne faudrait pas attendre que l’analyse de la domination mène à l’émancipation, mais voir au contraire ce que les discours d’émancipation révèlent de la domination.

4L’auteure aborde ensuite les images et stéréotypes que dénonce la critique de la domination masculine, en évoquant par exemple le marketing genré des objets et la représentation des rôles féminins et masculins dans les médias. Elle s’interroge sur le bien-fondé d’une lutte contre les stéréotypes en remarquant la toute-puissante de ces derniers, et essaye d’expliquer historiquement l’importance acquise par les images. Le fait que de nombreuses voix s’élèvent actuellement contre les images stéréotypées serait dû au constat des limites des progrès législatifs en faveur de l’égalité. Les militants anti-stéréotypes chercheraient donc, en s’attaquant aux images, à « résoudre l’écart entre loi et réalité » (p. 57). Geneviève Fraisse se demande ensuite à quel point la lutte contre les stéréotypes peut être efficace, et préconise de ne pas isoler les images des personnes qui les reçoivent et du contexte dans lesquelles elles sont produites. Après avoir émis l’idée que les « anti et pro-stéréotypes » participent ensemble à la mise en exergue des images stéréotypées, l’auteur propose de dépasser ces oppositions et la crainte de la confusion des sexes. La fin du chapitre aborde la dimension historique d’autres termes (« cliché », « préjugés »), et suggère l’usage du mot « modèle », par opposition à « contre-stéréotype », pour décrire de « bonnes » images, car ce terme transmet mieux l’aspect singulier et transgressif de celles-ci.

5Le dernier chapitre de l’ouvrage porte sur le corps, et sur l’usage de la nudité en politique. Geneviève Fraisse « propose […] de questionner l’image du corps dénudé comme langage de l’émancipation » (p. 67) en comparant les actions des activistes appartenant aux Femen et au groupe La Barbe. Les membres de la Barbe, en se réappropriant un attribut masculin grâce à leurs barbes postiches, tournent en dérision les dominants et proposent un discours ironique. Les Femen, au contraire, dénudent publiquement leur corps et adressent à ceux qui les regardent des messages écrits à même leur peau, ce qui rendrait leur stratégie innovante et plus efficace que celle de La Barbe. Geneviève Fraisse replace ensuite les Femen dans une perspective plus large en s’intéressant au lien philosophique et esthétique entre nudité féminine et vérité. Son analyse insiste sur le fait qu’être propriétaire de leur corps doit permettre aux femmes d’en faire tous les usages possibles, et que l’objectif de l’ouvrage n’est pas de trancher sur ce qui relève du bon ou du mauvais usage. Il s’agit au contraire de montrer que les Femen agissent à travers leur image et subvertissent le statut d’objet du corps féminin, devenant ainsi sujets d’émancipation. Dans l’épilogue, l’auteure revient sur le terme « excès », en soulignant que les polémiques autour du genre et du sexe ne sont « ni guerre ni paix », et qu’il faut simplement penser ces notions en débordant des cadres établis.

  • 2 Scott Joan W. « Gender: A Useful Category of Historical Analysis », The American Historical Review, (...)
  • 3 Bereni Laure, interview par M.Trachman : « Genre, un état des lieux : entretien avec Laura Bereni » (...)

6À la lecture de cet ouvrage, on peut légitimement se demander à quel « genre » Geneviève Fraisse fait référence dans ce travail. Ce n’est en tout cas pas au concept de genre qu’utilisent les sciences humaines et sociales, tel qu’il est par exemple défini par l’historienne Joan W. Scott2 ou la sociologue Laure Bereni3 dans des articles qui montrent comment le genre fonctionne en tant qu’outil d’analyse. Les éléments fournis par l’auteure pour critiquer le concept de genre, notamment en proposant l’idée qu’il dissimule autant qu’il révèle, n’appartiennent pas aux études de genre et sont toujours dé-contextualisés. Ainsi, aucune précision n’est donnée sur les « dires et écrits » dans lesquels l’auteure dit trouver le pluriel « les genres » ou l’expression « violences de genre ». Tout le premier chapitre semble reposer sur l’idée que le genre implique à la fois une dualité et une neutralité, et cette idée est uniquement justifiée par la comparaison du sens du mot en français dans les expressions « genre grammatical » et « genre humain ». L’absence de définition des concepts débattus dans ce livre réduit souvent le propos à une accumulation d’éléments disparates et de références floues. Le fait que Geneviève Fraisse choisisse une position surplombante par rapport au débat et refuse de prendre parti est aussi problématique. Bien qu’elle défende dans un paragraphe la scientificité du genre, l’auteure ne fait jamais de distinction entre les différents acteurs du débat dont elle se veut l’observatrice, se contentant de parler de « camps » ou de « pros » et d’« antis », sans décrire les positions et identités respectives des participants. De même, les camps pris en contre-exemple pour justifier la position centrale et neutre de l’auteure ne sont jamais précisément identifiés : qui sont ceux qui affirment la mixité des travailleurs du sexe (p. 14), participant ainsi selon l’auteure à rendre le genre ambigu et dissimulateur ? Et ne peut-on pas au contraire trouver dans les études de genre des exemples illustrant parfaitement les recommandations que l’auteure veut originales et nouvelles : prendre en compte le contexte et la réception des stéréotypes, ou interroger l’historicité des catégories genrées, notamment ?

7Si Geneviève Fraisse a le mérite de proposer une déconstruction et une interrogation systématique de nos catégories de pensée, elle le fait sur des fondations trop incertaines, et sans prendre en compte le contexte concret de la polémique autour du genre. Les perspectives philosophiques et historiques que l’auteure propose sur les rôles de l’image et de la nudité sont mieux élaborées, et pourront davantage servir de points de départ à des travaux de recherches sur ces thèmes.

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Notes

1 Fraisse Geneviève, présentation de l’ouvrage Les excès du genre. Concept, image, nudité sur le site de l’éditeur Lignes : http://www.editions-lignes.com/GENEVIEVE-FRAISSE-LES-EXCES-DU-GENRE.html.

2 Scott Joan W. « Gender: A Useful Category of Historical Analysis », The American Historical Review, vol. 91, n° 5, 1986, p. 1053-1075.

3 Bereni Laure, interview par M.Trachman : « Genre, un état des lieux : entretien avec Laura Bereni », La vie des idées, 5 octobre 2011, en ligne : http://www.laviedesidees.fr/Genre-etat-des-lieux. html#nb10.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clémence Perronnet, « Geneviève Fraisse, Les excès du genre. Concept, image, nudité », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 octobre 2014, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/15703 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.15703

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