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Simone Pennec, Françoise Le Borgne-Uguen et Florence Douguet (dir.), Les négociations du soin. Les professionnels, les malades et leurs proches

Gabriel Uribelarrea
Les négociations du soin
Simone Pennec, Françoise Le Borgne-Uguen, Florence Douguet (dir.), Les négociations du soin. Les professionnels, les malades et leurs proches, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2014, 283 p., ISBN : 978-2-7535-3392-9.
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Notes de la rédaction

Conformément à la Charte déontologique de Lectures, le rédacteur s’est abstenu de recenser l’article de Laurence Tain, en collaboration avec Anne Peillon : « L’aphasie d’un parent – père ou mère : aménagements des parcours de vie et prise en charge sexuée » (p. 153-166), car tous deux appartiennent au même laboratoire, le Centre Max Weber.

Texte intégral

  • 1 Il fait suite au colloque international, Le soin négocié entre malades, proches et professionnels. (...)
  • 2 Strauss Anselm, La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réun (...)
  • 3 Baszanger Isabelle, « Les maladies chroniques et leur ordre négocié », Revue française de sociologi (...)
  • 4 Voir la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

1C’est à une notion clef de la sociologie interactionniste et de la sociologie de la santé que cet ouvrage collectif1 est consacré : la négociation. S’inscrivant dans la lignée des travaux d’Anselm Strauss2 et d’Isabelle Baszanger3, les différents contributeurs interrogent les processus plus ou moins collectifs d’élaboration du soin. À partir d’enquêtes qualitatives, ils rendent compte de toute la diversité des registres de négociation du soin. Cette démarche est d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit dans un contexte de promotion de l’autonomie du patient4. Alors que la figure du patient-acteur s’impose dans le débat public il semble indispensable d’interroger, sur le terrain, la manière dont les décisions de soin se prennent.

2C’est ce à quoi nous invite cet ouvrage à travers 21 articles répartis dans les quatre parties suivantes : « Des soins négociés entre droits des malades et construction de la confiance », « Les arrangements du soin en situation de handicaps et de vulnérabilité », « Les limites des négociations en situation de maladies graves » et « Les prises de décisions et les accompagnement lors des fins de vie ».

  • 5 Payet Jean-Paul, Battegay Alain (dir.), La reconnaissance à l’épreuve. Explorations socio-anthropol (...)

3La première partie s’apparente à un cadrage général de la notion de négociation du soin et des différentes manières de l’appréhender. François-Xavier Schweyer commence par retracer, dans une approche socio-historique, la construction des droits du malade et rappelle que si la figure du patient-acteur et l’idée d’une décision partagée se sont largement répandues elles ne constituent pas le cadre de toutes les interactions entre soignants et soignés. Marcel Calvez revient quant à lui sur l’apport de la sociologie interactionniste pour envisager le soin comme un travail collectif entre un ensemble d’acteurs – médecins, malades, proches – qui se déroule sur de multiples scènes – les structures sanitaires mais également les « espaces ordinaires », comme le domicile. À partir de là, la notion de négociation du soin permet de penser les rencontres entre différents mondes. Cette idée est prolongée par Monique Membrado dans son analyse de l’interaction entre médecin et patient. Elle présente la manière dont la reconnaissance des capacités et compétences est mise à l’épreuve5 par les médecins et les patients dans le cadre d’un processus d’évaluation réciproque. Sarra Mougel, pour sa part, s’arrête sur des acteurs tiers : les proches. À partir du cas de l’hépatologie pédiatrique, l’auteure présente la position ambivalente des parents qui doivent être des partenaires actifs des médecins tout en gardant une réserve afin de laisser à l’enfant la possibilité de s’exprimer. Mohamed Mebtoul et Ouassila Salemi, poursuivent la réflexion sur les interactions entre médecin, parent et enfant malade, à partir d’une étude dans la région algérienne de Tamanrasset. Ils montrent que les possibilités de négocier le soin sont intimement liées au capital relationnel de la famille du patient. Enfin cette partie est conclue par Emmanuelle Fillion qui décrit la manière dont l’affaire du « sang contaminé » a ré-agencé les normes relationnelles entre médecin et patient dans l’univers de l’hémophilie.

4La deuxième partie s’intéresse aux négociations du soin lorsque les personnes sont dans des situations de handicaps et de vulnérabilité. Simone Pennec, à partir d’une étude sur les personnes en situation de polypathologies et/ou de pluri-handicaps vivant à domicile (c’est-à-dire principalement des personnes âgées), développe divers registres de négociation du soin – intime, familial et professionnel – et interroge la place accordée à la voix des patients dans le cadre des interactions avec les proches et les professionnels. Adeline Beyrie, quant à elle, explique que malgré leur situation de handicap, des personnes qui présentent des incapacités motrices graves arrivent à entamer des négociations avec les soignants. Et celles-ci sont intimement liées à des questions identitaires : « Des négociations sont possibles […] qui ont pour objectif une réappropriation du soi et la préservation d’une intégrité aussi bien corporelle que psychique » (p. 129). A contrario, Christine Gruson souligne le déficit de négociation qui affecte les mères désignées comme « handicapées mentales » sans cesse confrontées à des situations de discrédit. Audrey Parron revient, pour sa part, sur la place de la famille dans l’accompagnement des jeunes adultes souffrant de maladies psychiques. Si les compétences des proches font l’objet d’une évaluation par les soignants – qui va favoriser ou pas des négociations –, ces derniers leur reconnaissent un rôle majeur lorsque les soins sont segmentés entre différentes structures et différents professionnels : les proches permettent d’assurer une certaine continuité dans la prise en charge. Enfin, cette partie se termine par une contribution de Françoise Le Borgne-Uguen sur le rôle des mandataires judiciaires dans la santé des « vieilles personnes » ; réflexion importante tant les professionnels de l’intervention sociale sont aujourd’hui amenés à traiter de plus en plus des questions sanitaires avec les personnes qu’ils accompagnent.

5La troisième partie rend compte des difficultés à négocier dans les situations de maladies graves. Annick Anchisi s’attache à l’entrée d’un parent âgé dément en maison de retraite et à la transmission d’informations – de la famille aux soignants – qui l’accompagne. Ce temps, extrêmement difficile pour la famille, ne fait l’objet d’aucune négociation. Anaïk Pian poursuit la réflexion sur la place des proches à partir de ceux qui servent d’interprète à des parents immigrés ou étrangers atteints d’un cancer et qui ne parlent pas français. Elle insiste sur les tensions qui peuvent ressortir entre l’univers médical et un « univers profane régi par d’autres systèmes de références, de contraintes et d’obligations où se conjuguent différentes définitions, elles-mêmes fluctuantes, de la situation » (p. 201). Hélène Cléau revient pour sa part sur la relation entre médecin et patient en s’arrêtant sur l’annonce du diagnostic du cancer de la prostate. Ce temps particulier de l’activité médicale ne fait l’objet d’aucune négociation car le patient n’est pas encore « devenu malade ». Les négociations peuvent advenir plus tard sur les propositions thérapeutiques, à condition que le patient ait déjà connaissance d’autres traitements et que le médecin ne mobilise pas « l’urgence ». Hélène Marche prolonge la réflexion sur les rencontres en face à face et propose une typologie des relations entre soignants et soignés, qui offrent une part plus ou moins grande aux négociations. Cette partie se termine par une contribution de Jean-Christophe Mino et Marie-Odile Frattini sur le travail d’interface des « infirmières d’annonce » et des « infirmières de réseaux de soins palliatifs ».

6Enfin, la dernière partie s’intéresse aux négociations lors des situations limites de fin de vie. À partir d’une étude sur les parcours de soin des patients après un accident vasculaire grave, Florence Douguet montre comment, dans un service de neurologie, une logique médicale – fondée sur la nécessité de « traiter jusqu’au bout » – peut se retrouver en tension avec une logique paramédicale – fondée sur un « accompagnement jusqu’au bout ». Malgré ces logiques divergentes, les conduites à tenir ne sont pas discutées et négociées entre les professionnels, et encore moins avec les proches. Cette réflexion sur les négociations entre professionnels est prolongée par Véronique Guienne qui rend compte de la manière dont les choix ambivalents des patients participent aux doutes des équipes dans leurs prises de décision. C’est dans ces contextes difficiles que l’expertise du psychiatre peut être sollicitée. Marcel Calvez montre, à partir d’une étude dans une unité d’accompagnement et de soins palliatifs, que si les patients sont « quasi-absents », les professionnels tentent de s’adapter à chacun « par l’intermédiaire d’une fiction qui cherche à faire valoir le point de vue du sujet par-delà le corps souffrant » (p.257). Les professionnels mènent un travail sensible pour déceler le sujet singulier, malgré son incapacité à communiquer. Enfin Murielle Pott présente l’assistance au suicide en Suisse et note que celle-ci est régie d’une manière extrêmement procédurale, qui laisse peu de place aux négociations.

  • 6 Strauss Anselm cité par Baszanger Isabelle, « Introduction : Les chantiers d’un interactionniste am (...)

7Au final cet ouvrage apparaît comme une excellente introduction à la notion de négociation du soin. Si le nombre important de contributions engendre quelques répétitions et limite le développement approfondi de certains articles, il permet en contre-partie d’aborder la complexité et la pluralité des registres de négociations et des problématiques qu’ils soulèvent. De manière générale, ce livre révèle toute la fécondité et la pertinence d’une approche interactionniste en sociologie de la santé, qui s’intéresse « non seulement aux régulations sociales et autres conditions structurelles qui entrent dans l’interaction, mais aussi à la tendance de l’interaction à sortir des liens sociaux régulés et à aller vers de nouveaux modes d’interaction »6.

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Notes

1 Il fait suite au colloque international, Le soin négocié entre malades, proches et professionnels. Situations de maladies et de handicaps de longue durée, 8- 9 octobre 2009, ARS-EA–3149, Brest, Université de Bretagne occidentale.

2 Strauss Anselm, La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réunis et présentés par Baszanger Isabelle, Paris, L’Harmattan, 1992.

3 Baszanger Isabelle, « Les maladies chroniques et leur ordre négocié », Revue française de sociologie, vol. 27, n° 1, 1986, p. 3-27.

4 Voir la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

5 Payet Jean-Paul, Battegay Alain (dir.), La reconnaissance à l’épreuve. Explorations socio-anthropologiques, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaire du Septentrion, 2008.

6 Strauss Anselm cité par Baszanger Isabelle, « Introduction : Les chantiers d’un interactionniste américain », in Strauss Anselm, op. cit. p. 25.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gabriel Uribelarrea, « Simone Pennec, Françoise Le Borgne-Uguen et Florence Douguet (dir.), Les négociations du soin. Les professionnels, les malades et leurs proches », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 octobre 2014, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/15732 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.15732

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Rédacteur

Gabriel Uribelarrea

Doctorant en sociologie au Centre Max Weber, Université Jean Monnet.

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