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Patrick Le Galès, Nadège Vezinat, L’État recomposé

Candice Martinez
L'État recomposé
Patrick Le Galès, Nadège Vezinat (dir.), L'État recomposé, Paris, PUF, coll. « La vie des idées.fr », 2014, 112 p., ISBN : 978-2-13-062964-1.
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Texte intégral

1L’État recomposé se présente sous la forme d’une compilation de travaux de recherche dont le point commun est d’aborder les recompositions en cours au sein de l’État français. Les auteurs se demandent comment l’État français se repositionne et se recompose face à trois grandes transformations : la mondialisation et les changements d’échelles qui en découlent ; la redéfinition des rapports entre le public, le privé et la société civile; les différents rôles dévolus à l’État et leur juxtaposition.

2Dans l’introduction, Patrick Le Galès part d’une définition de l’État d’inspiration wébérienne pour souligner les formes diverses que celui-ci a adopté à travers l’histoire. Ce détour historique permet d’expliquer les caractéristiques de l’État français tel qu’il a existé au vingtième siècle. En effet, « progressivement, l’État a organisé la nationalisation de l’autorité politique via les politiques publiques, le droit, les partis, la bureaucratie » (p 13). Or, aujourd’hui, « l’État n’a plus de monopole de l’exercice de l’autorité politique » (p 13). Les sources de l’autorité sont plurielles et l’État est concurrencé par le haut (processus d’européanisation et de mondialisation) comme par le bas (décentralisation). Néanmoins, Patrick Le Galès s’appuie sur les contributions qui suivent son introduction pour argumenter que l’État ne disparaît pas mais se recompose autour de différentes dynamiques.

3En effet, les quatre contributions qui font suite à cette introduction montrent comment l’État français se recompose dans différents secteurs. Le premier texte, de Jean-Fabien Spitz, revient sur les transformations de l’État social dans un contexte d’économie globalisée. Il rappelle que l’État social français est né d’un compromis politique destiné à créer des mécanismes de solidarité étatiques. Aujourd’hui, les théories économiques libérales questionnent ce principe en présentant le marché comme un moyen plus « neutre » de redistribuer les richesses. Jean-Fabien Spitz montre au contraire qu’il s’agit là d’un choix politique qui modifie la manière dont l’État intervient dans la société mais n’aboutit pas pour autant à un retrait de l’État car « une société de marché nécessite tout autant de règles qu’une société organisée par un État providence » (p. 46). Par contre, les mécanismes du marché tendent à produire et reproduire les inégalités sociales. De plus, la concurrence économique entre les pays pousse au démantèlement de l’État social, au risque d’entraîner des phénomènes de repli communautaire et une montée de l’autoritarisme politique. L’auteur plaide alors pour une issue « par le haut » à la mondialisation, en conservant des lois sociales contraignantes car il ne peut pas y avoir de liberté démocratique et de progrès sans justice sociale.

  • 1 Philippe Bèzes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, P (...)

4La mondialisation a des répercussions au cœur même de l’administration publique d’État. Cette question est abordée à travers la recension par Émilien Ruiz de l’ouvrage de Philippe Bèzes, Réinventer l’État qui revient sur plus de quarante années de réformes de l’administration française1. Émilien Ruiz souligne l’importance de cet ouvrage face à la rareté des travaux français sur ce sujet. P. Bèzes montre comment l’administration publique a été érigée en problème public à partir des années 1960 et a fait l’objet de cinq « configurations de réformes ». Trois grands groupes d’acteurs ont joué un rôle central : des experts, des acteurs étatiques et des acteurs politiques. Le concept de « configurations » permet de comprendre les réformes comme le résultat de dynamiques, parfois contradictoires, qui se succèdent et prennent naissance au cœur de l’État français.

  • 2 L’État stratège repose sur une volonté de « différentiation entre les fonctions de décisions-concep (...)

5Une première configuration de réformes se met en place dans les années 1962-1972 avec pour objectif de « rendre l’État plus efficace » (p. 49). Les années 1970 et 1980 voient émerger les débats autour du droit des administrés et de la décentralisation, ouvrant la voie à une remise en question du fonctionnent de l’administration publique d’État. L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 amorce une période de réformes contradictoires dont l’effet est d’asseoir une vision négative de l’administration publique. Le « management public », dont l’objectif est « d’adapter les méthodes de gestion du privé aux spécificités du secteur public », apparaît sans toutefois s’imposer (p. 50). Le « tournant néo-managérial » ne s’impose véritablement que dans la décennie suivante, laquelle correspond à une quatrième configuration de réformes. Cette décennie marque l’avènement de « l’État stratège » et entérine l’idée selon laquelle il faut moderniser l’État, ouvrant la voie à l’adoption du Nouveau management public (p. 55)2. C’est seulement à l’occasion de cette cinquième configuration de réformes que modernisation de l’État et rigueur budgétaire vont se conjuguer. L’État n’a pas pour autant disparu puisque le Nouveau management public suppose la création de nouvelles entités – les agences de réglementation – et le renforcement des mécanismes de contrôle des administrations centrales et décentralisées.

6Le texte de Jean-Paul Domin décrit et analyse l’introduction de mécanismes d’incitation marchande et d’instruments de gestion dans les établissements hospitaliers et montre comment « la marchandisation croissante des hôpitaux publics repose sur une étatisation rampante » (p. 59). La politique hospitalière repose aujourd’hui sur une contractualisation des rapports entre l’État et les établissements, modalité qui permet de resserrer le contrôle du premier sur les seconds. Des agences ont ainsi été créées pour de mettre en concurrence les établissements hospitaliers à l’échelle des régions. On assiste alors à un double mouvement de régionalisation et de marchandisation, avec l’introduction de la tarification à l’activité. À travers les Agences régionales, l’État renforce son contrôle sur les hôpitaux, imposant des normes comptables et de performance.

  • 3 Sur l’expression « État animateur », voir Jacques Donzelot, Philippe Estèbe, L’État animateur: essa (...)

7Le quatrième texte revient sur la fonction publique territoriale et la réforme de l’État. Emilie Biland montre comment le développement de la fonction publique territoriale déroge à l’idéaltype wébérien de la bureaucratie, le statut des fonctionnaires territoriaux permettant le recrutement sur des critères politiques ou sociaux. Malgré cela, la fonction publique territoriale est étroitement encadrée par l’État, à travers une réglementation et des procédures de contrôle. Elle est en réalité le résultat d’un « compromis entre deux conceptions opposées de l’emploi public » : la première favorable à « l’autonomie bureaucratique » ; la seconde au « patronage politique » (p. 80). Emilie Biland nuance ainsi l’idée d’un retrait de l’État central et de la substitution d’un « État planificateur » par un « État animateur » (p. 82)3. Aujourd’hui, le fonctionnement et l’organisation de la fonction publique territoriale sont présentés comme un modèle alternatif au modèle bureaucratique tout en étant critiqués car ne correspondant pas suffisamment aux critères d’une gestion « managériale ». Emilie Biland montre ainsi que la fonction publique territoriale est au cœur des débats sur la fonction publique et « un acteur majeur de la redéfinition du rôle et des moyens de la puissance publique » (p. 85).

  • 4 Andrew Abott, « Écologies liées : à propos du système des professions », in Pierre-Michel Menger, L (...)
  • 5 Depuis les années 1970 aux États-Unis, une série de travaux appartenant à la science politique et à (...)

8La postface de Nadège Vezinat souligne les apports des quatre contributions et ouvre deux pistes de réflexion. Les recherches contenues dans cet ouvrage permettent de sortir d’une vision segmentée de l’État et de réfléchir sur « les liens, circulations et croisements entre ses différentes composantes » (p. 88). Notamment, les recompositions de l’État sont le résultat de l’intrication forte entre l’État et ses agents. Nadège Vezinat propose d’analyser l’État comme un ensemble « d’écologie liées », concept emprunté à Andrew Abott et à sa sociologie des professions4. Ce concept permet de saisir l’État comme un espace hétérogène et de comprendre comment celui-ci peut se désengager à un niveau pour se réengager à un autre niveau. L’analyse porte alors sur les actions et rétroactions, et sur leurs effets. L’auteur fait l’hypothèse que l’État n’agit pas moins mais de manière moins visible, d’une part, et que l’action publique est négociée tout en étant plus contraignante, d’autre part. En conséquence, la mission de régulation prend le pas sur les autres missions de l’État : l’État français se recompose sous la forme d’un État régulateur. Cet ouvrage regroupe des articles présentant un intérêt scientifique indiscutable et propose une lecture renouvelée de l’État. On pourra néanmoins regretter qu’il soit centré sur la production scientifique française et que les auteurs fassent peu référence à des travaux scientifiques provenant d’autres pays et s’inscrivant dans des approches très similaires5.

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Notes

1 Philippe Bèzes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, Le lien social, 2009.

2 L’État stratège repose sur une volonté de « différentiation entre les fonctions de décisions-conception-pilotage des politiques et les fonctions administratives de leur exécution » (p. 55).

3 Sur l’expression « État animateur », voir Jacques Donzelot, Philippe Estèbe, L’État animateur: essai sur la politique de la ville, Paris, esprit, 1993.

4 Andrew Abott, « Écologies liées : à propos du système des professions », in Pierre-Michel Menger, Les professions et leurs sociologie. Modèles théoriques, catégorisations, évolutions, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2003.

5 Depuis les années 1970 aux États-Unis, une série de travaux appartenant à la science politique et à l’histoire ont renouvelé les analyses de l’État. On pourra se référer au numéro spécial publié par la Revue française de science politique : « L’État en Amérique : nouveaux regards », Revue française de science politique, vol. 64, n° 2, avril 2014, Paris, Presses de Sciences Po.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Candice Martinez, « Patrick Le Galès, Nadège Vezinat, L’État recomposé », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 janvier 2015, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/16692 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.16692

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