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François de Singly, Irène Théry, La famille en quatre leçons de philosophie. DVD 1 : Leçons 1 et 2

Audrey Arnoult
La famille en quatre leçons de philosophie
François de Singly, Irène Théry, La famille en quatre leçons de philosophie. DVD 1 : Leçons 1 et 2 (de Singly, Théry), Paris, Éditions Montparnasse, 2014, proposé par Robert Maggiori.
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Texte intégral

  • 1 Le second DVD fait place aux approches du philosophe Luc Ferry et de la psychanalyste Elisabeth Rou (...)

1Ce coffret DVD est issu des master class que le journal Libération organise depuis 2012. Dispensées dans les locaux du quotidien, ces leçons entendent apporter au grand public des éclairages sur des sujets de société. Après les thématiques de l’injustice, de l’amour et de la religion, c’est la question de la famille qui a retenu l’attention du journal pour être discutée. Ce premier DVD regroupe les leçons de deux sociologues. : François de Singly et Irène Théry1. Qu’est-ce que la famille aujourd’hui ? Quelles transformations connait-elle ? Comment caractériser son évolution ? Les deux chercheurs apportent des réponses et des éclairages différents sur cette institution.

  • 2 Il précise que le terme « significatif » n'est pas synonyme d'« important » mais désigne celui qui (...)

2L’intervention de François de Singly s’appuie sur des références aussi bien littéraires que philosophiques ou sociologiques. Ce professeur de sociologie à l’université Paris Descartes est spécialiste des questions relatives à l’individu, à l’adolescence mais aussi à la famille et à la vie privée. C’est à travers le prisme de l’individu qu’il aborde les transformations de la famille. Son exposé est construit en trois temps. Il revient d’abord sur l’imposition progressive d’une croyance, celle d’un individu qui aurait une identité personnelle qui ne se réduit pas à ses identités sociales. Les prémices de cette séparation entre le moi et l’identité sociale remontent au XIIe siècle, avec l’amour courtois. Au XIXe siècle, l’identité personnelle prend le pas sur l’identité sociale : être soi-même devient un impératif. Dès lors, qu’est ce qui rend possible la construction de cette identité personnelle et qu’est-ce qui la valide ? Plus précisément, que signifie être soi dans un couple ? Comment sont (re)définis les rôles au sein de la famille ? Le sociologue répond à ces questions dans un second temps. Il démontre que la place acquise par l’identité personnelle n’induit pas une dissolution de la famille puisque le conjoint devient un « autrui significatif »2, essentiel dans le processus de construction de l’identité personnelle. Cette préservation de soi s’impose comme une exigence, que de Singly détaille dans un troisième temps. Si le conjoint est effectivement indispensable à la construction identitaire, le chercheur explique la nécessité de pouvoir dire « je » – autrement dit d’agir à titre personnel – sans la validation de celui-ci. Ainsi, dans un couple, l’identité personnelle d’une femme serait la part de son identité qui lui permet de se distancier de ses rôles d’épouse et de mère. Cette nécessité d’être soi est mise en lien avec la place prise par le divorce et la séparation dans notre société contemporaine. La séparation peut s’opérer selon deux modalités. La première – le schéma de séparation traditionnelle – résulte d’une non-validation de l’identité personnelle par le conjoint, l’autre étant uniquement regardé(e), circonscrit(e) à ses identités sociales (époux ou épouse, père ou mère, etc.). La seconde – qui prime aujourd’hui – est celle du « divorce par épanouissement » : le conjoint est bien présent pour valider l’identité personnelle de sa compagne ou son compagnon mais cette validation repose sur la représentation de l’autre tel qu’il était au début de la relation de couple. Le sociologue établit ici un parallèle intéressant avec l’adolescence : de même que l’adolescent s’émancipe en refusant la validation de ses parents, le conjoint s’affirme en déniant que son identité personnelle soit soumise à l’approbation de son ou de sa partenaire. Par extension, cela pose la question du commun : sur quelles pratiques communes fonder un couple et, plus largement une famille, dans un contexte d’individualisation croissant ? De Singly reconnait que l’individualisation des objets déstabilise ce « monde du commun » mais elle permet à chacun de disposer de sa part d’identité personnelle. Par exemple, regarder son émission préférée seul(e) dans sa chambre, c’est exprimer son identité personnelle tandis que le visionnage d’un film en couple est souvent synonyme de « renoncement » pour l’un des conjoints, qui se contente d’« accompagner » l’autre. . Les pratiques communes au fondement d'un couple ou d'une famille sont donc le fruit d'une construction qui doit sans cesse être repensée.

  • 3 Elle a notamment été l'une des auteures du rapport Filiation, origines, parentalité en 2014.
  • 4 Conseiller de l'Eglise de France sur les questions de mariage et de famille, prêtre et psychanalyst (...)
  • 5 Juriste et Maître de Conférences à l'université Paris 10.
  • 6 Théry Irène, La distinction de sexes. Une approche de l'égalité, Paris, Odile Jacob, 2007.
  • 7 Par exemple, entre enfants et grands-parents.
  • 8 Les transsexuels.
  • 9 Cette notion est empruntée à Louis Dumont qui montre que des sociétés traditionnelles (comme l'Inde (...)
  • 10 Cette expression proposée par l'auteure est l'objet de l'un de ses ouvrages :Théry Irène, Le démari (...)

3La seconde intervention donne la parole à Irène Théry. Cette sociologue – spécialiste de la famille et des études sur le genre, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales – a participé à plusieurs travaux concernant la filiation et la parentalité3. La différence des sexes est au cœur de sa réflexion et constitue, selon elle, le moteur des transformations familiales. Irène Théry débute son exposé en rappelant la confusion qui est trop souvent faite entre la différence des sexes (qui renvoie au genre, masculin/féminin) et l’hétérosexualité (qui renvoie à l’orientation sexuelle), cette confusion étant par ailleurs réductrice puisque le sexué (homme/femme) est rabattu sur une seule sexualité (l’hétérosexualité). Elle décrypte notamment cette confusion dans les prises de position sur le mariage pour tous, qu’elles émanent d’opposants (comme Tony Anatrella4) ou de partisans (tels que Daniel Borrillo5). Puis, elle précise cette notion de « différence des sexes » à laquelle elle substitue l’expression « distinction des sexes », titre de l’un de ses ouvrages6. Ce travail s’appuie sur des recherches anthropologiques pour montrer que notre conception de l’individu n’est pas celle qui prévaut dans les sociétés traditionnelles, lesquelles privilégient une approche relationnelle de l’individu. Autrement dit, la distinction masculin/féminin ne renvoie pas à des attributs de la personne mais à des modalités, des actions entre les personnes. Ainsi, un même individu (homme ou femme) est à la jonction de diverses relations, relations avec des personnes de même sexe, de sexe opposé, de sexe indifférencié7 ou de sexe combiné8. Irène Théry analyse les changements de la famille contemporaine à travers ce prisme conceptuel tout en les inscrivant dans une perspective historique. Elle rappelle qu’au moment de la modernité, notre société a substitué les principes de liberté et d’égalité au « principe de complémentarité hiérarchique »9, excepté dans le domaine de la famille. Quelles sont les caractéristiques de l’ordre familial instauré par le code civil ? Sur quelle hiérarchie des sexes repose la famille ? En quoi cet ordre matrimonial fonde-t-il l’ordre social ? En répondant à ces questions, la sociologue nous donne les clés pour comprendre l’ampleur de la « révolution de velours » que nous sommes en train de vivre et qui ne constitue donc pas une rupture soudaine. Le nouveau modèle familial se caractérise par le « démariage »10. Le mariage devient une question de conscience personnelle et n’est plus l’institution qui fonde la famille. C’est la filiation qui en constitue désormais l’axe principal. Ces différents concepts étant posés, la sociologue souligne que la réflexion sur l’homosexualité ne peut être abstraite de ces changements. L’intervention se clôt sur la question de la filiation : le modèle matrimonial de la filiation (qui était un modèle d’exclusivité, basé sur un père et une mère) a disparu et laisse le champ ouvert à une réflexion sur les diverses modalités d’établissement de la filiation dans ce contexte de métamorphose du mariage. Pour conclure, les outils conceptuels proposés par la sociologue sont difficiles à saisir mais ils permettent de comprendre la multiplicité des positions relatives au mariage pour tous. En outre, la perspective adoptée inscrit les débats contemporains sur le mariage pour tous dans une généalogie qui éclaire les changements que nous vivons.

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Notes

1 Le second DVD fait place aux approches du philosophe Luc Ferry et de la psychanalyste Elisabeth Roudinesco : http://lectures.revues.org/15374.

2 Il précise que le terme « significatif » n'est pas synonyme d'« important » mais désigne celui qui valide.

3 Elle a notamment été l'une des auteures du rapport Filiation, origines, parentalité en 2014.

4 Conseiller de l'Eglise de France sur les questions de mariage et de famille, prêtre et psychanalyste.

5 Juriste et Maître de Conférences à l'université Paris 10.

6 Théry Irène, La distinction de sexes. Une approche de l'égalité, Paris, Odile Jacob, 2007.

7 Par exemple, entre enfants et grands-parents.

8 Les transsexuels.

9 Cette notion est empruntée à Louis Dumont qui montre que des sociétés traditionnelles (comme l'Inde) vivent selon ce principe qui renvoie à « l'englobement de la valeur contraire ». Dans le couple, la valeur du féminin ne s'exprime qu'à la condition du masculin.

10 Cette expression proposée par l'auteure est l'objet de l'un de ses ouvrages :Théry Irène, Le démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 2001.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Audrey Arnoult, « François de Singly, Irène Théry, La famille en quatre leçons de philosophie. DVD 1 : Leçons 1 et 2 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 janvier 2015, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/16693 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.16693

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Rédacteur

Audrey Arnoult

Docteure en sciences de l’information et de la communication. Chercheure associée au laboratoire ELICO.

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