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Sylvène Édouard, Les Devoirs du prince. L’éducation princière à la Renaissance

Lucas Céleste
Les Devoirs du prince
Sylvène Edouard, Les Devoirs du prince. L'éducation princière à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, coll. « Histoire de Renaissance », 2014, 493 p., ISBN : 978-2-8124-3164-7.
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Texte intégral

  • 1 Pascale Mormiche, Devenir Prince. L'école du pouvoir en France, Paris, CNRS Éditions, coll. « Bibli (...)

1Loin de n’être qu’un enfant tout puissant appelé à succéder à son royal père, le prince est avant tout soumis à certaines contraintes et à de nombreux devoirs. Il reçoit donc une éducation particulière, une formation intellectuelle, sociale et physique étudiées ici par Sylvène Édouard avec le plus grand soin. Mobilisant des travaux nombreux et des sources variées, l’auteure retrace la jeunesse des princes européens par une étude alliant synthèse des recherches et exemples fouillés. Elle s’inscrit ici dans l’historiographie de l’éducation princière et de l’humanisme pendant la première modernité, thème qui semble actuellement susciter un engouement certain – en témoigne la parution prochaine d’un ouvrage de Pascale Mormiche1. Pour sa part, Sylvène Édouard vient apporter un nouveau regard sur une éducation qui « a jusque-là surtout été envisagée du point de vue des contenus disciplinaires et de leur portée philosophique et politique » (p. 17). Elle entend donc étudier d’une part la théorie de l’éducation princière et les ambitions fixées par les précepteurs, d’autre part la pratique et les réalités de cette éducation. Pour ce faire, des sources européennes manuscrites et imprimées sont analysées, à commencer par les ouvrages des humanistes et des Anciens qui pouvaient meubler les bibliothèques princières. Édouard utilise également les instructions et plans d’études ou encore les comptes, les états de Maison et les correspondances. Ces sources sont étudiées tant dans leur contenu que dans leur évolution éditoriale et dans leur matérialité (format, nombre de pages...). L’historienne peut ensuite diviser sa recherche en deux grands axes portant, pour le premier, sur la théorie et les ambitions de l’éducation princière et, pour le second, sur la pratique, autrement dit « le prince en son école ».

2Sylvène Édouard étudie d’abord les ouvrages ayant pu contribuer à l’éducation princière tout en tenant compte du fait que les livres présents dans les bibliothèques n’étaient pas nécessairement tous utilisés et encore moins lus. Elle constate ainsi la manipulation d’ouvrages antiques, bénéficiant de rééditions multiples grâce aux travaux des humanistes de cette première modernité. L’évolution du format des ouvrages témoigne d’ailleurs de leur démocratisation. Les savoirs acquis doivent servir la vie civique et ont des implications politiques, sociales et religieuses mais n’ont pas pour objectif de pousser le prince dans des débats philosophiques profonds. Le prince est avant tout un futur gouvernant. Il ne devait certainement pas étudier les œuvres d’Aristote ou de Plutarque dans leur intégralité mais seulement des extraits. Cela explique le succès de la littérature gnomique avec la multiplication des recueils de sentences et de maximes fournissant aux jeunes princes les exemples dont ils ont besoin. La philosophie morale par exemple est approchée grâce à des abrégés commentés ce qui évite l’étude des œuvres complètes. Toutefois, l’auteure souligne l’importance d’Aristote qui n’est même plus cité tant sa pensée imprègne le siècle. La philosophie complexe de Platon semble avoir chez le prince une moindre influence. Les textes chrétiens sont aussi source d’enseignements pour le prince : les précepteurs utilisent donc la Bible, les hagiographies ou encore les textes de saint Augustin. Culture antique et promotion de la foi chrétienne se mêlent ainsi dans l’éducation princière pour transmettre des savoirs et des valeurs telles que le contrôle des passions.

3L’éducation princière accorde une grande place aux traités sur l’art du gouverner, ce qui la singularise. Ces traités visent à instruire le prince tout en le conduisant vers une nature vertueuse. Cela passe par une reprise des traités antiques de Xénophon, d’Isocrate ou de Sénèque, auxquels viennent s’ajouter les Miroirs médiévaux et le fameux De Regimine Principum de Gilles de Rome. Ainsi le bon roi guide, soigne et protège son peuple. Les humanistes de l’époque vantent les vertus princières que sont la Justice (Érasme), la Prudence (mère de toutes les vertus selon Aristote) et la Charité. Pour cela, les figures exemplaires ont une valeur pédagogique. En parallèle sont évidemment condamnés les vices et les dangers de l’entourage, et les précepteurs mettent en garde contre les flatteurs et les mauvais conseillers. Au XVIe siècle s’est ainsi constituée une « acception doloriste de la dignité royale » (p. 147) ; doloriste car elle suppose charges et soucis.

4Une seconde partie traite ensuite de la pratique concrète de l’éducation princière. Celle-ci commence bien sûr par le choix du précepteur. Il doit avoir une grande culture et des qualités morales, il détient la sagesse et le prince cherche à lui ressembler. Ainsi apparaît tout un discours du bon précepteur. Édouard enrichit son étude par l’analyse de couples tels que François Ier et son précepteur François Demoulins, Juan-Luis Vivès et Marie Tudor ou encore Pierre Danès et les enfants d’Henri II. Concrètement, ces précepteurs peuvent utiliser des manuels scolaires, parmi lesquels ceux d’Érasme semblent s’imposer. Ces précepteurs sont généralement des humanistes mais aussi des auteurs et des éditeurs. Sylvène Édouard souligne les apports de ces précepteurs autant que les bénéfices qu’ils peuvent tirer de leur charge : être précepteur des enfants royaux permet ainsi de se distinguer dans une carrière ecclésiastique et de connaître une ascension sociale.

5Une partie importante de l’ouvrage traite des aspects concrets de l’éducation princière, et notamment du programme scolaire suivi par le prince. Ce dernier commence son éducation dans la crainte de Dieu et par l’apprentissage des rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut lire les Anciens, des chroniques et des textes historiques ainsi que des traités militaires. La culture militaire comprend ainsi des classiques tels que l’Iliade d’Homère ou la Guerre des Gaules de César. La figure du héros antique est mise en avant et est associée à celle du chevalier. Les romans de chevalerie sont un autre élément de l’apprentissage du prince. Édouard montre qu’il n’y a pas une éducation imposée sèchement, mais que les précepteurs cherchent à adapter au mieux leur éducation aux goûts du prince, pour ne pas susciter un dégoût qui le détournerait des études. Le prince doit également s’exercer à l’art oratoire et à l’art épistolaire.

6L’éducation princière passe également par des récréations et des divertissements. La musique, le chant et la danse occupent ainsi une place importante dans la jeunesse du prince. Des divertissements de tradition militaire tels que les jeux de combat et la chasse sont essentiels. Cette éducation, comme le souligne Édouard, ne va pas sans sanctions et châtiments. En effet, l’enfant même princier est tenu d’obéir à ses précepteurs et gouverneurs ; l’on constate cependant que les châtiments sont généralement appliqués aux enfants de l’entourage du prince pour l’émouvoir et le faire réfléchir. Le prince n’est en effet pas seulement soumis à des obligations scolaires, mais il a le devoir d’être le futur gouvernant. Il doit donc cultiver sa tempérance et son amabilité. Sa jeunesse est une période de socialisation qui commence avec un entourage féminin puis avec sa Maison princière et enfin ses ministres.

7Les recherches de Sylvène Édouard viennent apporter un éclairage sur un sujet déjà bien travaillé, déplaçant le regard sur de nombreux points. L’étude est intéressante notamment par ses aspects comparatifs. Elle montre ainsi que les princes européens ne recevaient pas une éducation absolument similaire, même si la présente étude en a dégagé des traits communs. Ainsi, les princes réformés semblent-ils avoir davantage recours au corpus chrétien (Bible, Origène, saint Augustin, saint Jérôme...). Ces mêmes réformés font appel à des précepteurs universitaires quand ailleurs on sollicite plutôt des ecclésiastiques. Les princes anglais se caractérisent par exemple par leur précocité, notamment dans l’apprentissage du grec et de la dialectique. Cet ouvrage se distingue par la richesse des exemples, qui permet de ne pas tomber dans une recherche globalisante et homogénéisatrice. Il est impossible par exemple de fractionner l’éducation princière en étapes selon l’âge tant les différences sont grandes d’un prince à l’autre. Un possible regret à la lecture de cet ouvrage est que ne soient pas davantage mises en avant les conséquences de l’évolution de la culture humaniste sur la pratique gouvernementale des princes. On ne peut cependant que saluer cet ouvrage qui couvre les différents aspects de l’éducation princière, entre humanisme, socialisation et apprentissage du pouvoir.

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Notes

1 Pascale Mormiche, Devenir Prince. L'école du pouvoir en France, Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2015.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lucas Céleste, « Sylvène Édouard, Les Devoirs du prince. L’éducation princière à la Renaissance », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 janvier 2015, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/16809 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.16809

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Rédacteur

Lucas Céleste

Étudiant en master 2 d’histoire moderne à l’ENS de Lyon.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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